Le 20 février pour l’histoire : article de Mr M.Ennaji
Posté par abc10 le 21 juillet 2013
Le 20 février, pour l’histoire
Il faut se garder de lorgner avec dédain les minorités. Dans l’enceinte de la Douma russe des débuts du XXème siècle, en pleine période de troubles, alors qu’un orateur clamait qu’aucun groupe n’était en mesure de prendre le pouvoir, le représentant des Bolc…heviks rétorqua du fond de la salle : Si, Nous ! Les délégués de la majorité et les autres éclatèrent de rire. Mal leur en prit, ils allaient très vite rire jaune. La Révolution de 1917 ne tarda pas à intervenir. Je ne peux m’empêcher de repenser à cet épisode maintenant que je pense au mouvement du 20 février. Je ne prétends pas par là que le mouvement en question représenterait quelque chose de semblable. Loin de moi un tel parallèle, mais le fait vaut la peine d’être rappelé à l’intention des amateurs des 90%. Ce n’est pas tant l’ampleur, somme toute réduite, d’un tel mouvement qui attire l’attention. C’est son sens, son contenu, sa portée historique qui, mis en perspective, méritent d’être pris très au sérieux. Ce n’est pas pour rien que les partis politiques dominants l’ont tour à tour courtisé ; il n’est pas non plus de peu d’importance le fait que les islamistes se soient engouffrés dans la brèche qu’il a ouverte pour afficher et légitimer leur présence. Malgré les dérapages, malgré les revendications corporatistes et locales qui en sont nées par ricochet, ce mouvement est aujourd’hui, dans son essence, la contestation par excellence. Même s’il s’épuise, il n’en sera pas moins le symbole, il n’en nourrira pas moins, dans les temps à venir, la flamme. Il est un indicateur central de l’évolution sociale.
Pourquoi ? Parce qu’il a rompu avec la stérilité et les compromissions des acteurs politiques établis. Parce qu’il a brisé le silence qui faisait loi au sein de la classe politique. Parce qu’il a formulé, au meilleur de lui-même, le fond de la question des rapports de pouvoir, le lien de servitude qui entrave depuis des siècles la volonté populaire. Il a ainsi déverrouillé un horizon assombri par la répression du pouvoir et la démission des élus de la nation. C’est cette rupture dont il est le porteur et le symbole, qui en fait un mouvement ouvrant la voie à une réelle espérance. Pour mieux en saisir la portée il convient de sortir de la médiocrité intellectuelle et historique des leaders politique en place. Ceux-ci, placés sous contrainte en raison de leur âge, de la vétusté de leurs appareils, de leurs intérêts de classe et souvent d’intérêts personnels moins glorieux, sont prisonniers du court terme. Ils ne perçoivent le mouvement du 20 février que dans cette perspective en prenant prétexte de sa débilité. Mais une telle vision est trompeuse ! Il est capital en effet de ne pas jauger ce mouvement à travers ses capacités et son poids actuels. Ces jeunes, qui en sont les animateurs, n’ont pas réellement conscience du changement social dont ils sont l’expression et qu’ils portent courageusement dans la rue. Leurs revendications les dépassent. Mais ils sont plus des annonciateurs d’avenir que des bricoleurs d’actualité. A travers eux, la société marocaine ose enfin déclarer son aspiration franche à la modernité. Elle ne supporte plus l’oppression, l’inégalité, l’injustice, le mensonge, les promesses de l’au-delà. Elle exige de choisir elle-même, librement ses représentants et ses gouvernants. Cette société a mûri, elle veut prendre son destin en main. Ces jeunes en sont désormais la voix sans concession. Contrairement aux allégations de nombreux augures, ils se situent d’emblée sur le champ politique. S’ils font preuve d’une impuissance avérée quant à donner naissance à une véritable formation politique, c’est parce que les pouvoirs se sont acharnés à priver la jeunesse des moyens lui permettant de se démarquer des organisations existantes acquises aux intérêts dominants. C’est parce qu’ils ont sapé les bases d’éducation et de formation des jeunes et veillé à les appauvrir intellectuellement et donc idéologiquement. C’est ce qui explique que malgré sa pertinence, un tel mouvement ne produise que des balbutiements qui ne sont intelligibles que perçus dans le long terme. Ce qui n’entame en rien la nature profonde de sa révolte. Ce mouvement a le mérite de crier dans la rue le refus radical de l’exploitation, d’en faire part publiquement malgré l’étouffement systématique dont font l’objet les forces montantes de notre société. Il date une rupture mentale et culturelle de celle-ci.
Le mouvement du 20 février n’est qu’en apparence l’affaire d’une minorité qu’on tient à marginaliser. Il est le porte-parole d’une société en mouvement, l’expression des mutations sociales en cours. Il n’est que la partie immergée de l’iceberg. Il convient d’y réfléchir avec plus de lucidité !Afficher la suite
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