Réponse au « Manifeste nauséabond .. »des islamophobes par Younès Benkirane
Posté par abc10 le 13 mai 2018
Je me reconnais pleinement dans cet énoncé, juste et fort, et le revendique comme partie inhérente de mon Être : « L’antisémitisme n’est pas l’affaires des juifs, il est l’affaire de tous ». Je suis né musulman, d’une famille qui m’a inculqué la générosité, l’humilité et, mieux que la tolérance - étymologiquement équivoque- la considération de l’autre comme mon égal, et ce, quels que soient sa religion, sa couleur de peau, sa richesse, son niveau social. Mes parents, croyants pratiquants, ont fait plusieurs fois leur pèlerinage à La Mecque. Issus, tous deux, de la riche bourgeoisie marocaine, ma mère a voué chaque jour de sa vie de mère à sa relation sereine avec Dieu, à l’éducation de ses enfants… et à la solidarité avec les démunis, qu’elle invitait à sa table, sans jamais les prendre de haut ; mon père, lui, bien que devant tenir son rang, trouvait son contentement une fois en compagnie des ouvriers et bergers après les rudes journées dans la ferme familiale. Leur priorité de parents, avant même notre réussite, était que nous ne manquions jamais de respect à notre prochain, plus encore s’il devait être moins riche, moins bien habillé, moins bien loti. Notre priorité, nous leurs enfants, aujourd’hui, est encore strictement la même. Ils n’ont jamais prôné qu’amour pour toutes et tous, musulmans ou non, croyants ou non, sans distinction ethnique, ni de couleur de peau, ni de religion. Ils ne sont pas, loin s’en faut, en terres d’Islam, une exception : tout musulman digne de sa foi, comme tout être digne de son humanité, quelle que soit sa religion ou couleur de peau, en France comme ailleurs, se veut vivre en harmonie avec ses voisins, les respecter et les chérir, conscient -ou non- que sa respectabilité provient non de sa richesse, de sa position sociale, mais de sa propre capacité à respecter et à aimer son prochain.
Bien sûr, tout n’est pas si blanc : il existe aussi en ces terres d’Islam, comme en France et en toutes régions du monde, des personnes aigries ou débordées de ressentiment, des personnes que la misère, la jeunesse ou les conditions sociales ou économiques, une asthénie de l’âme, de mauvaises fréquentations, entraînent ci ou là sur des pentes assassines. Certains en arrivent à voler, d’autres à haïr. Parfois à tuer. Pour toutes sortes de raisons. Parfois simplement parce que la tête de leur victime ne leur revient pas, parce que sa couleur de peau, sa religion, son appartenance ethnique. Cela s’appelle le racisme. Mais le racisme est un et indivisible, qu’il soit antisémitisme, islamophobie, racisme anti-Noirs ou anti-Arabes, anti-Roms ou anti-asiatiques. Les musulmans n’ont pas l’apanage de cela. Rappelez-vous : le Ku Klux Klan ; Hitler ; les Croisades ; l’esclavage ; le génocide des Indiens d’Amérique ; l’apartheid en Afrique du Sud hier, et ce que d’aucuns qualifient d’apartheid aujourd’hui en Israël ; le napalm au Vietnam et ailleurs ; la colonisation à des « fins civilisatrices » et ses centaines de décapitations de civils comme autant de trophées, notamment en Algérie ; l’exposition de Noirs dans des zoos humains pour le centenaire de la Révolution française ; la colonisation dans les Territoires occupés et les exactions érigées en système à l’encontre des Palestiniens ; les massacres de Kanaks ; les Algériens jetés à la Seine… les 6 millions de victimes juives de la Shoah ! Ce ne sont pas que je sache des productions de l’Islam.
Or vous avez apporté votre caution morale à un « Manifeste contre l’antisémitisme » qui, sous couvert d’appeler à l’union de tous contre cet immonde fléau, musulmans compris, pointe du doigt l’ensemble des musulmans et les essentialise comme « bourreaux des Juifs », passant sous silence toutes les autres formes de racisme gangrénant la France depuis déjà 2 ou 3 générations.
Les Musulmans « bourreaux des Juifs » ?! Rien que ça ?! « Épuration ethnique à bas bruit » ?! Rien que ça ?! Faudrait-il entrer dans des calculs indécents et macabres ? Comparer par exemple 11 Juifs assassinés par des « musulmans » en 10 ans, aux 27 Palestiniens (et 1500 blessés) tués en une seule journée d’une balle dans la tête par des snipers israéliens célébrant chaque nouvelle victime dans d’odieux cris de joie ?! Simplement parce que Palestiniens.
Non. L’abject antisémitisme qui ronge certains musulmans n’a rien à envier à l’immonde islamophobie qui ronge la France depuis de nombreuses années déjà. Mais je ne ferai pas d’amalgame : l’islamophobie n’est pas une affaire juive, elle concerne tous les Français, sans distinction de religion ou couleur de peau ! L’antisémitisme n’est pas une « affaire musulmane ». Autant que la lutte contre l’antisémitisme ne devrait pas être une affaire juive.
Quelle que soit la noble cause de la lutte contre l’antisémitisme avancée par les rédacteurs de cet appel, vous auriez dû vous méfier dès lors qu’il était rédigé et soutenu par un groupe réputé pour son laïcisme primaire, sourd à toute tentative de dépassionner le débat, et composé de politiciens cyniques et d’ « intellectuels » professionnels de la stigmatisation des musulmans.
Vous savez pourtant -mieux que beaucoup- que le meilleur moyen de combattre le mal n’est pas la stigmatisation, mais la pédagogie (et la justice lorsque le cas s’impose).
Les Évangiles et le Talmud regorgent également de propos intolérables, d’appels au meurtre notamment à l’encontre des homosexuels, mais pas seulement. Si nous voulons vraiment un rapprochement entre les humains, entre les citoyens de ce pays, ne devrions-nous pas appeler l’ensemble des religions à travailler ensemble pour faire prévaloir leur humanité et leur concorde, et opérer lorsque le contexte le permettra un nettoyage de leurs textes. L’ensemble des textes. Non le Coran seul, accréditant l’idée que l’islam dans son entièreté -et lui seul- serait fait de haine de son prochain.
Et puis, pouvons-nous nous interroger : en faisant injonction aux religions à nettoyer leurs textes sacrés, ne courons-nous pas le risque de dévoyer les Textes, de nous retrouver sans Ancien Testament, sans Bible, sans Thora, sans Coran, sans Tables… sans Histoire ? Je n’ai pas de réponse pour ce qui me concerne, mais la question ne mérite-t-elle pas d’être posée ?
L’antisémitisme n’est pas l’affaire des Juifs, il est l’affaire de tous. L’islamophobie n’est pas l’affaire des musulmans, elle est l’affaire de tous. Vous qui avez si sublimement conclu votre merveilleux « Fils de Noé », vous ne pouvez ne pas savoir tout cela, ne pas saisir le véritable enjeu de la démarche, qui est l’exploitation d’un mal immonde pour mettre les musulmans au banc des hommes.
L’antisémitisme n’est pas l’apanage de l’Islam, ni des musulmans. Le souligner n’est point vouloir dédouaner l’islam, ni les musulmans. Mais de dire haut et fort que, non ! l’Islam ni les musulmans ne sont cela. Que quelques passages, tout aussi scandaleux soient-ils, ne font pas le Coran, ni les musulmans.
Cher Éric-Emmanuel Schmitt,
Petit, nous habitions le quartier juif de Casablanca, rue Verlet Hanus et, recevant un jour une de ses voisines juive, alors qu’elle servait le thé et qu’elle en renversait incidemment par terre, ma grand-mère exprima son regret à travers une formule machinale -nullement malveillante, en tous cas sans intention malveillante- censée être une sorte de oh, pardon – oh, zut… sauf que ladite formule, traduite mot à mot, dit « que Dieu éparpille les juifs ». Le réalisant, elle s’en excusa et en fut marrie. La consolant, la voisine mit sa main sur la sienne et lui répondit « t’inquiètes pas Hajja, ne culpabilise surtout pas, chez nous aussi dans de telles circonstances on dit : « que Dieu éparpille les musulmans ». J’ai gardé de cette anecdote, dès petit, que ce genre de formule, quelle que soit sa violence ou sa cruauté, n’exprime pas nécessairement la haine, mais une sorte de méfiance envers celui qui nous est inconnu et dont on craint qu’il ait à notre égard des sentiments inavouables. La voisine juive avait fort bien compris cela, de longue histoire. Elle savait qu’il n’y avait que bienveillance et tendresse de l’une et l’autre, que la méfiance envers autrui ouvre la porte à l’amalgame involontaire, au malentendu, à la division, mais qu’il faut savoir raison garder, et maintenir haut la flamme de l’amour et l’humanité de la raison.
En essentialisant les musulmans le texte auquel vous avez apporté votre caution a offensé la mémoire et l’œuvre de mes parents, il a offensé celle de cette voisine juive de mon enfance. Il a offensé tous les musulmans (bien que je n’aie rien à faire des nombreux haineux parmi eux). Il offense enfin, et leurs donne un sacré coup de couteau dans le dos, tous ceux parmi nous, femmes et hommes de bonne volonté, juifs et musulmans, tellement nombreux malgré les apparences, qui travaillons au quotidien à la concorde entre les peuples.
Cher Éric-Emmanuel Schmitt,
Afin de lever toute ambiguïté -et il est malheureux pour un Arabe de systématiquement devoir se justifier de je ne sais quel antisémitisme consubstantiel- je précise que mes familles, paternelle comme maternelle, sont d’ascendance juive andalouse, converties à l’islam vers le 15e siècle. J’aime me revendiquer comme autant juif que musulman, revendiquer mon africanité, ma berbérité, mon occidentalité, moi qui suis blanc de peau et aussi naturalisé Français. J’aime souligner qu’en définitive je suis tout simplement Citoyen du monde, et que les identités sont faites pour être partagées et pour enrichir l’humanité. Je veux énoncer à la face de toutes les âmes malintentionnées parmi les politiciens, les gens de médias faiseurs d’opinion, et les philosophes de pacotilles en col blanc, que juifs et musulmans ne sont pas voués à devenir ces ennemis haineux auxquels ils voudraient nous vouer.
Cher Éric-Emmanuel Schmitt,
Voilà finie ma lettre ouverte. Mon but n’est pas de vous mettre dans la gêne, et ce message n’attend de vous ni réponse, ni excuse, ni justification, ni renchérissement polémique stérile.
Toutefois, il est vrai, un mot, juste un mot, qui rassure les musulmans sur le fait que, à l’instar des haineux qui vous ont piégé, vous ne cherchez pas à faire d’eux des parias -pas vous!- ; un mot qui rassure vos lecteurs et tous ceux qui savent votre noble humanité ; un mot qui les détrompe du sentiment que stigmatiser autrui serait une chose validée par vous ; un mot, un tout petit mot de vous : ferait du bien.
Sincèrement.
Younes BENKIRANE
Le Club est l’espace de libre expression des abonnés de Mediapart. Ses contenus n’engagent pas la rédaction.
Publié dans Non classé | 57 Commentaires »